Le 24 mai 2025, à l’âge de 97 ans, Marcel Ophüls est décédé. L’occasion pour Cinérama de revenir sur la vie du réalisateur, ses origines, la vie de son père Max Ophuls, ainsi que sur sa carrière, marquée notamment par son documentaire Le Chagrin et la Pitié
Marcel est le fils de la comédienne Hilde Wall et de Maximilian Oppenheimer, qui adoptera le nom de Max Ophüls afin de ne pas embarrasser son père en cas d’échec. Né en 1902 en Allemagne, il débute sa carrière comme metteur en scène de théâtre, puis devient acteur avant de s’imposer comme réalisateur. En 1933 , à la suite de l’incendie du Reichstag, il fuit l’Allemagne nazie et se réfugie en France. En 1940, il doit également quitter la France et part s’exiler aux Etats-Unis. Malgré ces déplacements successifs et des débuts difficiles à Hollywood, il parvient à poursuivre son activité cinématographique durant cette période.
Lors de son retour en France en 1950, Max Ophüls réalise plusieurs films qui rencontrent un immense succès, notamment La Ronde (1950) et Le Plaisir (1952). Son dernier film Lola Montès (1955) marque un tournant : son fils Marcel y travaille comme assistant. Il devient à son tour réalisateur, d’abord pour le cinéma, puis pour la télévision. Il travaille pour l’ORTF, l’organisme public chargé de la radio et de la télévision en France. Cependant, en raison de sa participation aux manifestations de mai 1968, il est licencié par la chaîne. Contraint de quitter la France, Marcel par alors en Allemagne, où la télévision publique lui offre la possibilité de réaliser son œuvre majeure : Le Chagrin et la Pitié.
Ce documentaire de près de quatre heures, tourné en noir et blanc, alterne des images d’archives avec des interviews de citoyens allemands et français, qui racontent leur quotidien durant l’Occupation. Tour à tour, des commerçants, d’anciens résistants, mais aussi d’anciens officiers de la Wehrmacht prennent la parole. Le film donne également la parole à des collaborateurs assumés, comme Christian de La Mazière, dont l’interview restera l’un des moments les plus marquants du documentaire. Cette alternance de points de vue permet de saisir l’atmosphère complexe, en France durant les années d’Occupation.
Le documentaire est diffusé à la télévision allemande en 1969, mais il est censuré en France pendant plusieurs années. En cause : l’approche du film, qui met en lumière la réalité d’une France où une grande partie de la population a collaboré – activement ou passivement – avec l’occupant nazi. Ce point de vue dérange, car il vient bousculer le mythe résistancialisme selon lequel les Français auraient unanimement et naturellement résisté durant la Seconde Guerre mondiale.
Lorsque la censure est levée en 1971, le documentaire provoque un choc et devient un objet de débat qui divise profondément. Simone Veil, alors députée, déclare qu’en présentant les Français comme de « salauds ordinaires » sans entrer dans le détail, Marcel Ophüls contribuait à déculpabiliser les véritables responsables de la collaboration, ainsi que, par ricochets, les Allemands eux-mêmes.
Aujourd’hui, Le Chagrin et La Pitié demeure la première œuvre à avoir abordé de front ce sujet longtemps tabou. Elle reste une œuvre précieuse pour comprendre les fondements de la collaboration en France pendant l’Occupation.
A la suite du film Le Chagrin et La Pitié, Marcel Ophüls conserve sa patte documentaire. Il réalise l’Empreinte de la justice, un film centré sur les crimes de guerre, puis Hôtel Terminus (1988), un documentaire retraçant la vie de Klaus Barbie qui lui vaudra l’Oscar du meilleur film documentaire en 1989. En 2009, il consacre un documentaire à la mémoire de son père Max Ophüls, puis en 2013, il réalise Un voyageur, une œuvre autobiographique dans laquelle il revient sur sa vie. Ce film vient clore, l’histoire d’une dynastie de créateurs qui n’a jamais cessé de filmer, quels que soient les lieux, les époques ou les obstacles.