Le 27 août sortira Caught Stealing, le nouveau film de Darren Aronofsky, neuvième long-métrage du réalisateur américain. L’occasion pour Cinérama de revenir sur Pi, son tout premier film, qui lui ouvrira les portes d’Hollywood et lui permettra de réaliser l’œuvre qui le fera connaître du grand public : Requiem for a Dream
Darren Aronofsky est né à New York en 1969 dans une famille juive. Il dira que c’est la culture des fêtes et l’histoire familiale, plus que la spiritualité religieuse, qui marqueront son rapport à la religion. À 18 ans, il entre à Harvard, où il combine des études d’anthropologie et de cinéma. Entre 1991 et 1994, dans le cadre de ses études, il réalise quatre courts-métrages.
Pour développer son premier long-métrage, il décide de s’autoproduire. Il sollicite sa famille et ses amis, leur demandant un investissement de 100 dollars en promettant un rendement de 150 dollars si le film est rentable. Grâce à ce financement participatif avant l’heure, il peut tourner Pi , un film indépendant en noir et blanc, à très petit budget.
Présenté au Festival de Sundance, Pi y remporte le prix de la mise en scène. Sundance, véritable tremplin pour le cinéma indépendant américain dans les années 1990, permet alors au film d’être diffusé en salles, où il rencontrera un certain succès.
Il sera aussi l’un des tout premiers films à être proposé sur Internet, via un système de « pay per view » — à cheval entre la distribution classique et les débuts du streaming. Le film incarne ainsi une époque charnière, où la technologie naissante commence à redéfinir les modes de diffusion.
Pi raconte l’histoire de Max, un brillant mathématicien souffrant de migraines chroniques, qui pense être sur le point de découvrir une formule mathématique capable d’expliquer les fluctuations du marché boursier. Il devient alors la cible d’une grande firme de Wall Street, désireuse de contrôler le monde de la finance, mais aussi d’un groupe de cabalistes persuadés que ses travaux peuvent dévoiler des secrets mystiques enfouis dans les textes sacrés.
Interrogé à la Cinémathèque française sur le choix de personnages hassidiques dans le film, Aronofsky explique qu’à l’origine, il souhaitait intégrer des figures religieuses et mystiques après un voyage en Europe où il avait rencontré des moines. Vivant à New York, il réalise que des personnages hassidiques seraient plus cohérents avec le paysage new-yorkais — et visuellement parfaits dans un film tourné en noir et blanc.
Mais la présence de ces personnages ne relève pas seulement de l’esthétique ou du contexte urbain : les cabalistes font un parallèle entre leurs propres recherches et celles de Max. Tous cherchent à décoder un ordre caché dans les nombres. Ils rejoignent le protagoniste dans cette obsession commune : la croyance que l’univers est régi par une structure numérique, une séquence à déchiffrer.
Le film aborde également des sujets sur la pensée et l’étude. Le mentor de Max, Sol, l’avertit : comme Archimède avant lui, celui qui étudie doit préserver un équilibre entre le travail et le foyer, au risque de sombrer dans l’obsession. Mais chez Max, il n’y a aucune place pour ce foyer : son appartement est envahi d’ordinateurs, et on n’y voit jamais ni chambre ni lit.
Pi transmet également l’idée que même si l’univers obéit peut-être à un ordre mathématique, le chaos reste inévitable — et nécessaire — et le personnage doit l’accepter pour vivre.
Enfin, le film anticipe aussi une transformation majeure : à l’aube d’un nouveau millénaire, les nouveaux prophètes sont dans les garages, derrière des écrans, en train de coder. Ceux qui comprennent et maîtrisent les machines façonnent désormais notre vision du monde, et déterminent autant nos avancées sociales que spirituelles.
Avec Pi, Darren Aronofsky inaugure une œuvre cinématographique marquée par des questionnements philosophiques et psychologiques profonds. Même si ses sujets évoluent, il ne perdra jamais cette capacité à insuffler des idées puissantes, souvent dérangeantes, dans ses films. Parfois, c’est même le sujet seul du film qui dérangera au point d’être interdit, notamment son film Noé (2014), dont la diffusion sera interdite dans certains pays et qui relancera le débat sur la possibilité — ou non — d’adapter des personnages bibliques dans des films à gros budget hollywoodien.
En 30 ans de carrière, le réalisateur a su toucher un large public (Requiem for a Dream, Black Swan), parfois dérouter même ses plus fervents admirateurs (Mother!, The Fountain), mais toujours se renouveler — comme en témoigne le succès critique et public de The Whale, son dernier film à ce jour.